Anne-Marie Laflamme, l’une des cofondatrices d’atelier b, faisait un cauchemar récurrent : « Je rêvais que j’étais en dessous d’une grosse montagne de vêtements atelier b qui m’écrasait. Peut-être que c’était à cause des images des dépotoirs au Ghana ».
Elle fait référence à ce qu’illustre ce reportage percutant portant sur une décharge située à la périphérie d’Accra, la capitale du Ghana. Avec ses montagnes de déchets de 20 mètres de hauteur composées à 60 % de vêtements, cette décharge est devenue un symbole de ce que les Nations Unies ont qualifié de phénomène « d’urgence environnementale et sociale » causé par la surproduction et la surconsommation mondiale de vêtements bon marché, alimentée par la fast fashion (mode rapide).
Les effets dévastateurs de l’industrie de la mode sur l’environnement étaient déjà bien connus quand, en 2007, Anne-Marie Laflamme et Catherine Métivier ont commencé à travailler sur la création d’une collection de vêtements fabriqués au Québec avec des fibres naturelles, tout en minimisant leur impact sur l’environnement.
Fondé en 2009, atelier b est un atelier-boutique dont la ligne de vêtements se caractérise par des designs sobres et épurés avec des couleurs neutres, des tons de terre, mais aussi des couleurs très vibrantes : « On s’amuse à les mélanger de façon parfois surprenante », explique Anne-Marie, « on veut qu’un vêtement dure longtemps et ce qui va garder son look actuel, c’est la façon d’agencer les couleurs. »
Quinze ans plus tard, l’engagement écoresponsable d’atelier b brille toujours de toute sa vivacité. Les cofondatrices ont décidé d’embrasser une prise de position plus « radicale », concrétisée en 2021 par le lancement de leur initiative d’économie circulaire. Cette dernière visait à adopter une approche centrée sur le zéro déchet. Ce projet a été soutenu par la SODEC grâce au programme Aide aux initiatives innovantes.
Par le biais de cette initiative, atelier b a pu développer un processus qui l’aide à ne plus générer de déchets grâce à la fabrication d’une matière rigide à partir de la pulpe de textile issue du recyclage et de la transformation de ses morceaux non réparables et de ses retailles de production.
Le soutien de la SODEC a fourni aux designers les moyens de développer leur projet de recherche, mais a aussi contribué à rassurer leurs partenaires de recherche. L’aide de la SODEC, estime Anne-Marie, leur a procuré une crédibilité que leur micro-entreprise n’aurait pas eue d’emblée auprès d’organismes plus familiers avec les processus technologiques qu’avec l’univers de la mode.
Au Canada, il n’y a actuellement aucun système de recyclage du textile. Au Québec, à peu près 300 000 tonnes de textile sont jetées chaque année. « C’est très volumineux », explique Anne-Marie, « ça inclut les déchets de particuliers – essentiellement des vêtements en fin de vie – et les déchets de la production manufacturière. »
Dans un premier temps, pour résoudre le problème des vêtements en fin de vie, atelier b a mis en place un programme de collecte des vêtements de sa ligne que sa clientèle n’utilise plus parce que trop usés, trop portés ou dont la taille ne convient plus.
Anne-Marie et Catherine se sont ensuite attaquées aux retailles, ces chutes de tissus inévitables dans un atelier de couture. Pour revaloriser ces dernières, atelier b a d’abord créé une collection de vêtements pour enfants, des petites peluches et d’autres petits produits ingénieux.
Mais malgré ces efforts, atelier b produisait encore une à deux tonnes de retailles inutilisées chaque année. « Ces belles retailles de tissu qu’on a importé du Japon ou d’Europe, qui ont demandé des ressources humaines et environnementales importantes, ça nous brisait le cœur d’envoyer ça à l’enfouissement. »
Elles ont d’abord contacté Synergie Montréal, une initiative de PME MTL Est-de-l’Île créée en 2016 pour optimiser l’utilisation des ressources sur le territoire montréalais par le biais de l’économie circulaire. L’objectif de Synergie Montréal est de mettre des entreprises en relation pour qu’elles explorent la façon dont les déchets de l’une pourraient devenir la matière première de l’autre.
Ce premier essai n’a pas abouti à des solutions satisfaisantes, notamment parce que les retailles étaient trop petites. Mais également parce que les pistes envisagées relevaient d’une approche industrielle qui ne tirait pas profit de la qualité des fibres, un élément prioritaire pour Anne-Marie et Catherine.
atelier b a également expérimenté avec des techniques de papeterie à l’ancienne qui utilisent des cotons et du lin pour fabriquer du papier. Mais cette technique produit du papier haut de gamme pour artistes et, comme l’explique Anne-Marie, « personne n’a besoin de deux tonnes de papier de plus. »
C’est finalement en cognant à la porte du Centre Innofibre, un service du Cégep de Trois-Rivières qui se spécialise dans la pâte cellulosique provenant normalement d’arbres, qu’Anne-Marie et Catherine atteindront leur objectif. Cette collaboration leur a permis, après plusieurs essais et erreurs, de combiner leur sensibilité esthétique de designer avec l’approche industrielle des ingénieurs pour créer des objets 3D qui ont des propriétés similaires à celles du composite de bois.
Aujourd’hui, l’entreprise offre sur son site web et à son atelier-boutique une collection d’objets pour la maison créés grâce au processus technologique innovateur mis au point avec Innofibre1.
L’objectif zéro déchet est donc atteint, mais pas à l’intérieur d’une même année. Le processus de recyclage actuel nécessite environ deux ans pour traiter un an de matière. « Mais le rythme de transformation s’accélère », explique Anne-Marie, confiante que le retard sera bientôt rattrapé.
Pour l’instant, atelier b a mis sur le marché des mobiles produits avec les premiers prototypes. Dans le courant de l’année 2024, atelier b prévoit fabriquer de nouveaux objets avec des moules de plâtre façonnés par une céramiste de Montréal.
Grâce à l’aide financière de la SODEC, qui a couvert 50 % des coûts, l’étape de la preuve de concept du projet d’économie circulaire a été complétée avec succès.
Éventuellement, Anne-Marie et Catherine ont l’intention de fédérer d’autres designers locaux dans leur démarche de recyclage. L’idée est d’aider ces entreprises à créer leurs propres produits en s’inspirant du processus développé par atelier b.
D’ici là, elles continueront à les sensibiliser aux démarches d’écoresponsabilité. « Il y a tellement de choses à mettre en place avant de recycler ses retailles », explique Anne-Marie. « C’est pour ça qu’on fait des présentations, qu’on explique l’écoconception, la qualité des produits, offrir à ses clients de réparer les produits déjà existants. »
Dans l’immédiat, elles espèrent pouvoir utiliser les revenus provenant de la vente des objets pour autofinancer la suite de la recherche.
« Mais au moins », fait remarquer Catherine, « Anne-Marie ne fera plus de cauchemars! »
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1 Pour plus d’information à ce sujet : Thermoformage : Une opportunité pour les fibres mal aimées. Innofibre le 17 janvier 2022. En ligne : https://innofibre.ca/thermoformage-une-opportunite-pour-les-fibres-mal-aimees/