Par Danielle Desjardins de la Fabrique de Sens
En 2023, les Éditions Fonfon remportent le prestigieux prix BolognaRagazzi Crossmedia Award dans la catégorie Librairies Digitales/Collection pour l’Atelier de création Fonfon lors de la Foire du livre de Bologne. Ce prix distingue les plateformes qui enrichissent l’expérience du livre par des innovations numériques.
Créé avec l’appui du programme d’aide aux initiatives innovantes de la SODEC, l’Atelier de création Fonfon n’est pas la première initiative numérique de la maison d’édition. En 2016, l’entreprise a développé des applications interactives pour la plateforme Apple et a collaboré avec l’entreprise Atracktiv pour transformer ses Vélos musicaux en vélos-conte à l’occasion du Salon du Livre de Montréal de 2019.
Fonfon est avant tout une histoire de repreneuriat familial. Véronique Fontaine est l’actuelle directrice générale de la maison d’édition. Son père, André Fontaine, retraité de la Sûreté du Québec et spécialiste en scène de crime, a fondé les Éditions André Fontaine en 2003. En tant qu’enseignant en techniques policières au Cégep de Sherbrooke, il avait remarqué le manque de livres de référence dans ce domaine et a voulu y remédier. Après son décès soudain en 2007, ses filles ont repris l’entreprise pour honorer sa mémoire et poursuivre son rêve.
L’aînée des sœurs, Valérie, a alors écrit un texte poétique pour garder la mémoire de son père vivante. Initialement prévu en tirage limité pour la famille en 2010, Toujours près de toi – Ton album de partage sur le deuil, a finalement atteint les 3 000 exemplaires vendus. Ce fut le premier titre publié par les Éditions Fonfon, nommées ainsi en l’honneur du surnom d’André Fontaine.
Aujourd’hui, Véronique, formée en clarinette classique, attribue une partie de son succès au fait qu’elle était peu familière avec le domaine de l’édition. Elle explique que sa méthode de travail, consistant à trouver des solutions face aux défis, et que son manque d’expérience l’ont menée à faire les choses autrement : « Je ne savais pas comment faire des livres, alors j’ai innové un peu malgré moi sur certains éléments, par exemple en décidant qu’on ramènerait à environ cinq le nombre de livres édités par année. »
En limitant ainsi le nombre de publications annuelles, elle a pu se concentrer sur leur qualité, permettant à Fonfon de se distinguer et d’obtenir le financement nécessaire pour ses applications mobiles en 2016.
D’où vient l’idée de l’Atelier? Il faut faire un retour en arrière pour l’expliquer. « En 2010, explique Véronique, le numérique arrivait en force dans le milieu du livre. Je me disais : ce n’est pas vrai que je vais créer du contenu qui demandera aux enfants d’être encore devant un écran alors qu’ils peuvent avoir le livre papier. Je m’entêtais à ne pas faire de livres numériques. Et je me disais que si jamais j’en faisais, il y aurait une raison pour laquelle les enfants se retrouveraient devant un écran, il y aurait un enrichissement, il y aurait de la musique. Il faut que ce soit stimulant, que les enfants ne soient pas que passifs, qu’ils puissent créer. Et c’est là qu’on a fait le projet des applications interactives Fonfon. C’étaient les premiers livres numériques de Fonfon. »
Le projet de l’Atelier de création sur le web est né d’un constat : les enfants comme les parents souhaitaient partager les histoires créées grâce au volet atelier de l’application, mais celles-ci restaient captives de la tablette numérique sur lesquelles elles sont utilisées en raison de l’enjeu des droits à protéger.
Véronique a souvent vu, par exemple, des enfants qui, après avoir créé des histoires sur les tablettes dans des salons du livre, ne voulaient plus partir. « Les parents étaient émus, ils disaient : mon enfant déteste apprendre le français, il n’aime pas écrire. Que se passe-t-il avec lui? Il crée une histoire et il est heureux! »
« L’idée est venue de faire un atelier de création basé sur le web destiné aux enfants de 4 à 12 ans et offert gratuitement. Tous les irritants qu’on a connus dans les applications, on les a évacués en faisant ce projet-là. Je pense que l’Atelier de création amène ça : un cadre de création, qui facilite l’organisation des idées, qui stimule. »
Au début du projet, l’équipe prévoyait avoir à faire face à un processus complexe de libération des droits des textes et des illustrations. Mais le tout s’est réglé relativement facilement grâce à un contrat qui explique le concept aux créateurs : ils donnent leur accord pour l’utilisation non pas du livre, mais de l’univers du livre, et acceptent que leur contenu soit parfois détourné de manière inattendue. Comme Véronique le dit, dans un grand élan de générosité tout le monde a dit : « ce sont des enfants, je laisse aller. »
Ce sont plutôt les enjeux de confidentialité qui ont suscité de longues discussions avec l’équipe d’avocats retenue pour le projet et qui ont nécessité la mise en place de mesures pour protéger les renseignements personnels des enfants et s’assurer du consentement des parents. « Je pensais aux droits des créateurs, mais je n’avais jamais pensé à la question de la confidentialité, du consentement. C’est ce qui a nous a pris énormément de temps. Ce sont des connaissances qu’on n’avait pas. »
Lancée en 2022, la plateforme comptait en 2024 déjà plus de 5 000 utilisateurs et a permis la création de plus de 9 000 histoires. Véronique se réjouit de ces résultats, soulignant que ces histoires sont un accomplissement significatif de l’atelier.
La mission de l’Atelier est de stimuler le goût de la lecture chez les enfants en utilisant l’innovation pour enrichir l’expérience du livre. Pour Véronique, cela repose sur la circulation de l’œuvre papier en la déployant de toutes sortes de façons, sur de multiples plateformes.
Par exemple, l’Atelier permet aux enfants de créer leurs propres histoires à partir des univers des livres de la maison d’édition. Il a été conçu afin qu’un enfant puisse reconnaitre le livre dont il utilise l’univers quand il le voit en librairie ou en bibliothèque, « Oh, c’est le livre de l’atelier de création, j’ai fait des histoires dans cet univers. »
« On offre quelque chose de riche aux enfants qui vivent une expérience positive en créant des histoires et peut-être se découvrent une passion. Notre pari est d’entrer dans les familles, dans les écoles, d’une manière qui éventuellement mènera au livre. »
Véronique et son équipe réfléchissent à des avenues pour développer l’Atelier de création, maintenant que la plateforme est stable et que son concept a fait ses preuves. Les textes ont été traduits en anglais en vue de développement à l’international et l’équipe explore la possibilité de vendre une licence de la plateforme.
Véronique souligne tout de même que la technologie, qui nécessite beaucoup de ressources, n’est pas le seul vecteur d’innovation. « C’est quoi l’innovation finalement? », s’interroge-t-elle. « Est-ce que ça passe nécessairement par la technologie? Pour ma part, je réalise que l’innovation, c’est faire autrement. On fait de la promotion autrement chez Fonfon grâce à l’Atelier de création, grâce au livre audio aussi, parce que pour moi le livre audio c’est aussi de la promo qui ramène au livre papier. »
