Société de développement des entreprises culturelles
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Parcours entrepreneuriaux - Blogue SODEC

TRANSFERT D’ENTREPRISE – Jean-François Renaud rachète le Groupe iCible

Par Marie-Hélène La Mothe, SODEC 

 

En janvier 2025, Jean-François Renaud fait l’acquisition du Groupe iCible, une entreprise québécoise spécialisée en billetterie et en intelligence d’affaires fondée par Mathieu Bergeron et Vincent Bergeron. Dans cet article publié dans le cadre de la Semaine nationale du repreneuriat du Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ), les deux parties nous racontent leur histoire de transfert d’entreprise culturelle réalisé avec l’appui et l’expertise de la banque d’affaires de la SODEC.

 

Photo de Mathieu Bergeron

« Vendre une entreprise culturelle, c’est pas juste de mettre une pancarte devant et d’attendre que le téléphone sonne : le cycle est long, même si l’entreprise est rentable. »

La production et la diffusion de spectacles, Mathieu Bergeron est tombé dedans quand il était petit : il a grandi dans l’entreprise familiale qu’était le Théâtre du Chenal-du-Moine à Sorel, fondé par son père en 1981. De fil en aiguille, entre les postes de voituriers et de préposé à l’entretien, il finit par gagner la confiance de son père à la fin de son secondaire et peut officiellement passer du côté du service à la clientèle pour faire la billetterie. Officiellement, oui, puisqu’à 8 ans, il formait déjà les employés à utiliser les ordinateurs pour la vente de billets.

Après des études en marketing aux HEC et une maitrise en fidélisation de la clientèle, Mathieu travaille de concert avec son frère informaticien Vincent Bergeron sur un travail d’étude qui deviendra en 2001 Artishow, une solution de billetterie pour les petites salles de spectacles. Mais cette version bêta de ce qui deviendra TUXEDO, un logiciel de billetterie de pointe, avait ses limites : « Tu ne te fais pas dire par le marteau que tu ne peux pas faire tes rénovations. Il fallait être capable de s’ajuster. », illustre Mathieu Bergeron, qui savait mieux que quiconque quelles améliorations apporter au logiciel pour mieux répondre aux besoins des salles. L’analyse de données était au cœur de ceux-ci. Alors, entre le rachat du théâtre de leur père, leur vie de famille de trentenaires et leur vrai travail, Mathieu et son frère ont fini par livrer un plan d’affaires et à engager un informaticien à temps partiel, qui commencera à coder TUXEDO en 2013.

Un contexte favorable à la croissance···  et à la vente

Plusieurs facteurs répartis sur une dizaine d’années influenceront l’essor du travail de Mathieu et de Vincent, dont l’apparition de l’infonuagique, les changements majeurs au sein des leaders de l’industrie de la billetterie, le premier forum numérique à RIDEAU, sans oublier cette fameuse pandémie, qui permet aux équipes marketing des salles de spectacle et d’événements culturels du Québec de prendre le temps d’optimiser leur fonctionnement. TUXEDO jouit alors de 40 % du marché québécois de la billetterie. Les petites salles, plus agiles, adhèrent rapidement à l’interface agréable et à la légèreté technologique du système, tout en appréciant cette offre québécoise qui comprend bien leurs réalités, comparativement aux autres fournisseurs du pays voisin.

La croissance de l’entreprise québécoise attire l’attention d’entrepreneurs américains, ce qui alimente les discussions entre les frères Bergeron. Devant l’absence de consensus à vendre à des intérêts étrangers, Mathieu prend les devants et va à la rencontre de quelques repreneurs potentiels québécois pour leur présenter le projet. L’un d’eux lève la main : Jean-François Renaud, président fondateur de l’agence Concertium siégeant au conseil d’administration de l’ADISQ depuis 2012, puis élu président à l’automne 2022.

Le douloureux souvenir de la vérification diligente (mieux vaut en rire!)

Photo de Jean-François Renaud

 

Visionnaire et passionné par la culture québécoise, Jean-François Renaud terminait le MBA pour cadres McGill-HEC Montréal quand son intérêt est capté par le Groupe iCible, l’agence de Mathieu et Vincent Bergeron. C’est ce programme de deux ans qui a permis à l’homme d’affaires de faire une réflexion en profondeur sur son industrie et son entreprise : « J’étais dans une démarche de refonte du modèle d’affaires et d’avenue de croissance. Avec un plan de croissance pour l’entrepreneur J.-F. Renaud (plutôt que pour mon agence), je tombais dans une phase de croissance par acquisition. Mathieu est arrivé en 2023 avec cette opportunité au moment où j’avais déjà soulevé certaines pierres, mais je n’avais pas pensé du tout à cette avenue-là. »

Rapidement, Jean-François a deux conversations : une avec la banque d’affaires de la SODEC et l’autre avec les gens qui s’occupent de son dossier à sa banque. Les deux institutions le préviennent de la même réalité : chaque projet est différent et il y aura beaucoup d’aspects à valider au fil du processus.

Les deux hommes ne s’en cachent pas : la vérification diligente qui a suivi fut éprouvante tant pour le cédant que pour le repreneur. « Le vendeur doit répondre à énormément de questions, alors que l’acheteur reçoit une multitude d’informations et d’avertissements. Inévitablement, une fatigue s’installe. Et tout ça en plus d’avoir l’entreprise à gérer – je gérais une croissance avec Concertium et Mathieu gérait une croissance avec TUXEDO. » Malgré tout, Jean-François illustre l’étape de la vérification diligente avec humour : « Tu arrives dans un bon restaurant et on te parle de l’entrée, mais pas du dessert. On t’explique combien le plat principal va coûter, mais tu finis par te retrouver avec un menu de huit ou neuf services – vérifications comptable, légale, technologique, cybersécurité, etc. –, mais au début on te fait une proposition pour un seul plat, sans qu’on te prévienne de la suite du menu. »

Chaque issue de vérification était une possibilité pour Jean-François Renaud et ses partenaires financiers de s’ajuster s’ils n’étaient pas à l’aise avec le risque. Tout au long du processus, le repreneur est donc contraint de poursuivre les investissements auprès des experts, sans vraiment savoir si la transaction va finalement avoir lieu. Mais il faut continuer : « Tu es comme au 39 km d’un marathon à te demander : pourquoi je fais ça? » témoigne, sourire toujours en coin, Jean-François Renaud.

Le poids du sceau de la banque d’affaires de la SODEC

Ce que Jean-François Renaud et Mathieu Bergeron retiennent de leur expérience de repreneuriat avec la banque d’affaires de la SODEC, c’est que contrairement à une autre institution financière davantage axée sur les ratios, la Société a la ferme conviction de l’importance de conserver les entreprises culturelles québécoises, les propriétés intellectuelles et les emplois au Québec, en plus d’offrir un service conseil pour les voir vivre une croissance.

Jean-François reconnait qu’au premier abord, son projet de faire l’acquisition d’une agence à titre personnel en était un d’inhabituel. Mais parce que la SODEC a vu le potentiel derrière l’idée et qu’elle a adhéré au scénario, elle est venue donner une crédibilité au projet. Son équipe d’experts, qui a une excellente connaissance du milieu culturel québécois et qui comprend son ADN, a évalué que l’entrepreneur avait le réel désir de conserver les propriétés intellectuelles québécoises, tout comme le cédant Mathieu Bergeron : « Si la SODEC embarque dans ton projet, c’est un sceau de crédibilité qui veut dire culturellement approuvé. Elle est sensible aux relations d’affaires, à la durée des contrats et ça, c’est rassurant pour le cédant. »

Un autre élément qui fait de la SODEC un partenaire intéressant est qu’elle ne fait pas qu’aider à financer. Elle comprend la nécessité de garder l’entreprise en santé au bénéfice de l’industrie. C’est pourquoi la SODEC a supporté le Groupe iCible dans la révision de sa planification stratégique à la suite du transfert, via son programme d’aide au développement entrepreneurial.

La clé est dans la complémentarité

L’annonce de la transaction, faite en janvier 2025, amène de nouvelles opportunités aux deux parties, qui partagent maintenant leurs réseaux d’affaires d’où émergent des clients potentiels qui n’étaient pas sur le radar de TUXEDO. La nature des opérations reste la même, de même que toute l’équipe, ce qui n’est pas sans rassurer l’industrie et la clientèle.

Pour les deux entrepreneurs, l’un des facteurs de succès de ce transfert d’entreprise est qu’ils se connaissaient avant d’entamer les démarches et qu’ils se complètent bien. Cela a facilité le bon échange entre les parties : « Dans le domaine culturel, ce sont de petites entreprises, centrées sur l’humain. Si tu achètes de quelqu’un que tu ne connais pas, j’ai l’impression qu’il y aurait eu un écran entre nous deux ou qu’on ne se serait pas compris dans certaines situations » explique le repreneur.

« La billetterie, c’est le cœur et le poumon d’une salle de spectacle. Si j’avais vendu aux Américains, on aurait perdu la confiance des clients, on aurait épuisé les équipes de billetterie dans une transition technologique, sans compter qu’un compétiteur aurait juste pu tuer le logiciel. Avec le scénario actuel, je peux me concentrer sur le développement du produit », se félicite Mathieu Bergeron. Jean-François Renaud renchérit : « Si une solution de billetterie québécoise qui détient 40 % du marché disparait, en plus du contexte politique actuel qu’on ne connaissait pas quand on a commencé les discussions, c’est une catastrophe. Ça aurait possiblement fait traverser toutes les données aux États-Unis. »

Cette nouvelle pour l’industrie culturelle garantit que les services locaux en billetterie et en analyse de données demeureront entre des mains québécoises et que son développement continuera à se faire en adéquation avec les besoins des acteurs du secteur des arts vivants d’ici.

Pour en savoir plus sur la manière dont les services financiers aux entreprises de la SODEC peuvent vous accompagner dans votre projet, écrivez à services.financiers@sodec.gouv.qc.ca.