Par Danielle Desjardins de la Fabrique de sens
Le Minotaure, c’est un petit bar de spectacles de 240 places qui propose une programmation éclectique constituée en majorité de spectacles d’artistes de la relève.
L’établissement ouvert en 2016 est « membre salles-diffuseurs » de l’association des SMAQ (les Scènes de Musique Alternatives du Québec), une association qui représente et défend les intérêts d’une soixantaine de lieux de diffusion de musique alternative. Pour obtenir ce statut, il faut proposer une programmation mettant majoritairement en scène des artistes émergents. Les membres salles-diffuseurs doivent également avoir « diffusé au moins 10 spectacles musicaux et mis en œuvre une majorité de compositions originales en ayant pris un risque financier lié au cachet de l’artiste, la production et la promotion des évènements. »[1]
Ces critères sont l’essence même de la mission qui anime les trois copropriétaires du Minotaure. « On voulait vraiment ouvrir une place à spectacles musicaux, dit Tristan Arnaud, l’un des copropriétaires. On fait peut-être trois ou quatre spectacles d’humour par an, on a des spectacles de drag, mais vraiment 90 % c’est de la musique originale. »
Mais c’est une mission très peu rentable pour une entreprise dont les revenus proviennent majoritairement de la vente de consommations. « On fait de l’argent avec le bar, explique Tristan, et on paye des spectacles ensuite. »
C’est pourquoi le programme d’aide aux lieux de diffusion implanté par la SODEC en avril 2023, en remplacement de l’aide d’urgence offerte durant la pandémie[2], est arrivé à point. Avec ce programme, la SODEC entend assurer la vitalité et la diversité de la scène musicale et contribuer à maintenir un accès durable à des lieux de spectacles de musique et de variétés partout au Québec.
Le Minotaure bénéficie d’une aide financière de ce programme depuis 2023. À quoi sert ce financement? Il permet à l’établissement de payer les artistes avec des cachets fixes plutôt qu’avec un prix à la porte, un arrangement par lequel les groupes ou artistes ne reçoivent comme rétribution qu’une part des revenus de la vente des billets. Comme l’explique Tristan, les revenus de la billetterie peuvent être modestes, en particulier pour les artistes émergents qui ne sont pas encore largement connus.
Bien que ce ne soit pas toujours rentable, Tristan considère que le fait d’attirer un groupe de spectateurs, même modeste, constitue, pour des artistes de la relève, un tremplin vers un auditoire plus important pour le prochain spectacle.
Grâce au programme de la SODEC, le Minotaure peut se permettre de prendre des risques avec un plus grand nombre d’artistes émergents. « Le but c’est de les faire connaître », explique Tristan. « Constituer, pas nécessairement un public d’admirateurs, mais un public de gens qui apprécient la musique de groupes qui ne sont pas connus. »
En mai 2024, le Minotaure signait avec la salle Odyssée, un lieu de diffusion professionnel d’une capacité de 830 places situé à la Maison de la culture de Gatineau, une entente de codiffusion de spectacles qui prévoit le développement d’une programmation conjointe[3]. L’entente permet à chaque scène de développer de nouveaux publics, pour les salles et les artistes, en bénéficiant de la visibilité de l’autre. Elle contribuera également à faire rayonner des artistes de la scène émergente et alternative.
« L’Odyssée, c’est une très belle salle. Ils font vraiment un boulot incroyable. On se complète très bien parce qu’on n’a pas la même clientèle du tout, mais on a la même passion, on aime les mêmes choses, on aime les artistes, on veut faire découvrir les nouveaux artistes. On a souvent des coups de cœur en commun, même si nos mandats sont différents. Donc c’était naturel de s’associer. »
Donner de la visibilité à des artistes émergents, donc peu connus, par définition, est devenu complexe et coûteux, d’où le grand intérêt de cette entente sans coût direct pour le Minotaure. « C’est toujours triste d’entendre des gens dire : je ne savais pas que cet artiste jouait chez vous la semaine dernière! » se désole Tristan.
« On a eu quelques années dorées avec Facebook, souligne-t-il. Sans dépenser beaucoup d’argent, on pouvait rejoindre beaucoup de monde. Maintenant c’est vraiment fini : on dépense beaucoup d’argent pour rejoindre très peu de gens. Et puis, les jeunes ne sont plus sur Facebook. Tous mes employés en bas de 25 ans ne touchent jamais à ça. »
Il cite aussi comme avantage l’aspect prise de risque. « Quand la Maison de la Culture veut présenter le même artiste que nous, mais qu’il irait mieux chez nous – parce que c’est plus petit, parce que notre ambiance correspond plus à son style – on peut coproduire au Minotaure et vice-versa. Des artistes qui commencent à faire des spectacles au Minotaure pour finir par se produire à la Salle Odyssée, ça me semble un parcours très naturel. »
Le Minotaure entretient également des liens avec les autres diffuseurs de la région. Il arrive parfois, par exemple, qu’un groupe ou un artiste réputé, un « gros nom », qui se produit dans une grande salle de la région, ait aussi envie d’un spectacle en formule cabaret qui permet une ambiance plus intime. « Que ce soit avec le Centre national des Arts (CNA), qu’on connaît bien, ou la Maison de la culture, on collabore pour ne pas engager les mêmes artistes en même temps. »
En 2022, on pouvait lire dans Le Droit que « Le bar spectacle de la ruelle Aubry, dans le Vieux-Hull, a gagné en maturité et surtout en notoriété au fil des années.[4] » Cette notoriété, le Minotaure la doit, estime le journaliste, à une offre musicale peu commune dans la région et peut-être même à l’échelle de la province. « Le Minotaure nous étonne toujours par sa programmation », conclut-il.
Trois ans plus tard, le petit bar de spectacles est plus que jamais au cœur de l’écosystème musical gatinois avec une programmation toujours aussi étonnante qui alterne entre artistes de la relève comme Ariane Roy et Choses Sauvages et artistes établis comme Ariane Moffatt et Karkwa.
[1] https://lessmaq.ca/devenir-membre/
[2] Les petites salles de spectacle se réjouissent d’un nouvel appui de la SODEC. Le Devoir, 16 février 2023.
[4] Nos coups de cœur culturels. Le Droit, 27 décembre 2022.