Société de développement des entreprises culturelles
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Article sur l'entrepreneuriat culturel

TRIO ORANGE ET LA FORCE DU NOMBRE : Un modèle de repreneuriat à l’interne

 

Par Marie-Hélène La Mothe, SODEC 

 

Équipe de Trio Orange
De gauche à droite : Les six repreneurs de Trio Orange Shaney-Kim Carufel, Julia Langlois, Julie Lavallée, Annie Sirois, Marie-Claude Brunelle et Nicola Morel.

 

Chef de file en production télévisuelle et numérique, Trio Orange innove non seulement par ses contenus jeunesse, ses documentaires, ses fictions et ses magazines, mais également par son plan de relève inédit. En 2020, la maison de production indépendante montréalaise et son président et producteur exécutif, Carlos Soldevila, annonçaient la nomination de cinq employées de longue date comme actionnaires, soit les productrices Marie-Claude Brunelle, Julia Langlois, Julie Lavallée, Annie Sirois et la directrice, relations d’affaires, Shaney-Kim Carufel. Deux ans plus tard, le plan de relève s’est poursuivi avec la consolidation de leur implication, en plus d’accueillir Nicola Morel, concepteur au développement et producteur au contenu, au rang des actionnaires. La SODEC les a rencontrés juste avant l’annonce d’une autre étape importante du transfert de l’entreprise.

Un repreneuriat au féminin

Bien qu’encore trop d’entrepreneurs attendent d’être prêts à prendre leur retraite ou d’être au bout du rouleau pour préparer leur relève, c’est loin d’être le cas de Carlos Soldevila. Ce sont plusieurs années de réflexion, de recherche, d’analyse de modèles d’affaires et de consultations auprès d’autres producteurs et d’instances de financement qui ont mené le jeune quinquagénaire à faire une proposition jamais vue dans l’écosystème, celle d’offrir à des employées essentielles l’opportunité de se joindre à lui à titre d’associées. Il pourrait ainsi assurer la pérennité de la maison de production, tout en conservant son ADN. « C’est fort apprécié quand un gestionnaire met du temps et de l’énergie à réfléchir à un modèle qui colle à l’entreprise. Carlos a été créatif en mettant en place des stratégies à notre portée financière et en adéquation avec notre époque. C’est tout à fait à l’image de Trio Orange, de Carlos et des valeurs de l’entreprise. » témoignent les nouvelles actionnaires.

Mettre en place un repreneuriat au féminin alors que le milieu de la télévision en est un de profondément masculin est, en effet, on ne peut plus en adéquation avec notre époque. Bien que des pionnières aient joué du coude avant elles pour faire leur place dans ce milieu, les repreneuses s’accordent pour dire qu’avec ce modèle, Trio Orange fait un grand pas dans la modernité : « On a aujourd’hui le souhait de mieux refléter la société et ça passait par une vision de retrouver l’équilibre, de défaire l’image du boys club, et de pouvoir être prises au sérieux au même titre que quiconque. Cette recherche d’équilibre est dans tous les aspects du milieu : dans la distribution, dans les équipes de production, en réalisation, chez les auteurs, donc avec un repreneuriat au féminin, Trio Orange devient un meilleur reflet de la société actuelle. »

Et comme les valeurs d’une entreprise évoluent au fil du temps et de ses dirigeants, Marie-Claude Brunelle, Julia Langlois, Julie Lavallée, Annie Sirois, Shaney-Kim Carufel et Nicola Morel trouvent nourrissante la perspective de pouvoir, à leur tour, mettre de l’avant d’autres valeurs qui viendront compléter celles que Carlos avait mises en place depuis 2008 et auxquelles elles adhèrent toujours. Travailler dans le plaisir en est une d’importance qui s’impose avec leur repreneuriat collectif. Elle leur permet d’accueillir leurs nouveaux défis sans pour autant perdre le goût d’aller au travail le matin. Le plaisir devient alors un essentiel qui leur permet de rester créatifs.

L’accompagnement de la SODEC : comme du vent dans le dos

Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’offre de Carlos Soldevila, avait surpris ses employées. Pour les productrices, le fait de ne pas avoir d’expérience en entrepreneuriat ne les positionnait pas comme étant des repreneuses potentielles. Pourtant, les compétences pour gérer une entreprise ne sont pas si éloignées de celles requises pour gérer des projets d’envergure, comme elles ont l’habitude de le faire depuis de nombreuses années au sein de la compagnie de production. Ce n’était donc pas un saut dans le vide, mais plutôt une opportunité en or, pour ces professionnelles, de se faire proposer de prendre les rênes d’une compagnie en santé. Et ce petit sentiment d’insécurité devant l’ampleur du défi? La force du nombre leur a vite fait oublier.

Cela fait presque quatre ans que le plan de repreneuriat de Trio Orange a été mis en branle et les actionnaires ne peuvent que constater l’évolution de leurs parcours d’entrepreneurs. « Pour ma part, c’est la capacité de se projeter, qui a changé. Au début, tu apprends, tu reçois, puis après ça tu es capable de prendre l’information pour l’amener plus loin, beaucoup plus rapidement, d’utiliser ça comme levier vers une entreprise prospère à long terme. » explique Julia Langlois. L’accompagnement de Carlos leur permet de développer des habiletés et des connaissances en entrepreneuriat qu’elles n’auraient tout simplement pas eu l’occasion d’explorer, ce qu’elles reconnaissent comme une véritable chance.

Outre leur mentor, Marie-Claude Brunelle, Julia Langlois, Julie Lavallée, Annie Sirois, Shaney-Kim Carufel et Nicola Morel ont pu compter sur plusieurs partenaires pour les aider à devenir actionnaires de la maison de production Trio Orange. « C’est du vent dans le dos, qu’on a senti de la part de SODEC, du Fonds Québecor et de la BNC. C’est comme de se faire dire : les filles, on croit en vous! Ça nous a donné l’élan nécessaire pour plonger. De les savoir derrière nous et d’avoir leur confiance, ça nous sécurisait et donnait beaucoup de crédibilité à notre projet. Est-ce qu’on serait allé de l’avant s’ils n’avaient pas été là? Je suis loin d’en être certaine! ».

Le repreneuriat en groupe : les défis… et des solutions!

La recette pour réussir à diriger et à avancer à sept têtes? Les jeunes actionnaires la peaufinent toujours, mais elle passe nécessairement par la complémentarité de leurs forces et la confiance mutuelle. Ne pas douter qu’un collègue mènera à bien un dossier de la meilleure façon leur permet de relever bien des défis. Depuis leurs débuts, elles ont essayé différentes formules, se sont réajustées pour améliorer l’efficacité et ont finalement dû accepter qu’elles ne pourraient pas tout faire. Pas évident, pour des productrices habituées à tout gérer : « Tout le monde nous demande si on se chicane··· On ne s’est jamais chicané! En revanche, il y a beaucoup de respect, de communication, de transparence. On témoigne de nos insatisfactions, de nos inquiétudes. Ça fait longtemps qu’on se connaît, donc on s’aime avec nos bons et nos moins bons côtés. La chimie était déjà un peu installée : on avait déjà passé à travers différentes épreuves et défis avant d’être associées entrepreneures. » Leur relation de collègues de longue date est un facteur déterminant de cette confiance. Elle leur a permis de mettre en place des solutions, comme la sous-division de certains départements et la mise en commun de l’information plusieurs fois par semaine.

Cela étant dit, la communication à l’extérieur de leur groupe de sept devient aussi un défi, comme le souligne Nicola : « Comme on est nombreux et que l’on est au courant de tout ce qui se passe dans l’entreprise, on peut vite tenir pour acquis que tous les employés sont aussi au courant. Dans une entreprise à deux têtes dirigeantes, par exemple, ça semble peut-être plus évident de communiquer des informations d’intérêt à l’ensemble des employés plus rapidement. »

Pour s’aider à clarifier la gestion de groupe à l’interne comme à l’externe, Trio Orange annonçait récemment la nomination de la productrice Annie Sirois au poste de coprésidente de l’entreprise. Cette nomination marque une étape importante dans la stratégie de relève de Trio Orange. En étroite collaboration avec Annie, Carlos continuera d’apporter sa vision stratégique et son expertise, assurant ainsi une transition fluide et renforçant la dynamique d’innovation au sein de l’entreprise.

Développer une vision stratégique dans un milieu en mouvement

L’état de l’industrie des médias a de quoi occuper les pensées des nouveaux entrepreneurs. L’actualité les pousse à trouver de nouveaux modèles de production, de nouveaux types de clients, de nouveaux types de contenu, à travailler en collaboration avec différents intervenants de milieux variés. Et puisqu’il n’y a aucun modèle d’affaires qui dure sur des décennies, il faut toujours se réinventer. « Ça nous force à être créatifs non seulement dans le contenu, mais aussi dans le modèle d’affaires. Nous, on prend le pari que les gens vont toujours vouloir se faire raconter des histoires. Et comme c’est notre force, on va trouver des façons de faire. Si Carlos a pris le risque, un jour, de créer une entreprise, nous, le risque qu’on va prendre, ça va être d’en réinventer le modèle. » exprime Annie Sirois, nouvelle coprésidente de Trio Orange.

Selon son expérience, Carlos Soldevila trouve qu’ils sont chanceux que la transition se passe aussi bien. Que ce soit pour des raisons d’enjeux financiers, de conflits de personnalités, de prises de décisions par rapport à la structure de l’entreprise, beaucoup d’histoires de repreneuriat ne se passent pas aussi bien que la leur. Mais comme toutes les parties y trouvent leur compte et assument leur nouveau rôle selon le temps et l’énergie qu’ils ont envie d’y investir, leur histoire à sept fonctionne··· et ce n’est pas de la fiction!

 

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